RISQUE D’INFECTION
Le risque infectieux est le plus documenté dans la littérature touchant au risques hospitaliers et concerne de nombreux aspects de la vie d’un hôpital, à commencer par sa conception. Il devrait être conçu à partir des besoins réels du patient et du personnel et pas selon les principes théoriques développés par des architectes qui n’ont jamais vécu dans un service. Cela conduirait par exemple à économiser les pas du personnel, à réduire la longueur des circulations, à prévoir des postes de lavage de mains supplémentaires.
Le lavage des mains
Le lavage des mains est en effet un des points forts de la prévention des infections nosocomiales avec la stérilisation, l’antisepsie et la propreté du patient et enfin, la propreté de l’environnement. En les examinant un à un, il est possible de comprendre aisément pourquoi les infections sont si nombreuses.
Le lavage des mains ne semble pas être un réflexe naturel, bien que le récent épisode Ebola conduise à de meilleures pratiques dans ce domaine. Le port de gants jetables aun effet négatif car il protège le personnel mais pas le patient. Il n’est pas exceptionnel de passer d’un patient à l’autre ou d’une chambre à l’autre avec les mêmes gants. Sous les gants, la peau transpire et favorise le développement microbien. Il faudrait se laver les mains après avoir enlevé les gants. Les solutions hydro alcooliques ne sont efficaces que sur des mains faiblement contaminées, le lavage reste nécessaire.
Il semble à l’expérience que le niveau d’acceptation du lavage répété des mains exprime le degré de motivation, ou de démotivation des soignants. Mal payés, mal considérés, contraints à travailler dans des structures fréquemment inadaptées, les soignants sont sensibles à l’usure qui résulte de la répétition quotidienne des mêmes gestes. En l’absence d’esprit d’équipe, ce contexte conduit petit à petit à être moins rigoureux, à simplifier les pratiques, voire à les négliger. C’est pourquoi l’animation des équipes de soins et les contrôles sont nécessaires. C’est le rôle de l’encadrement qui pourrait disposer pour cela d’outils d’évaluation des pratiques professionnelles. Ils existent.
La propreté, l’antisepsie et la préparation cutanée
Maintenir la propreté du patient est une règle élémentaire, parfois sous-traitée aux accompagnants en Afrique. Si la peau du patient n’est pas propre, le risque de contamination des cathéters, voie veineuse et des incisions est majoré. Plus le nombre de portes d’entrée est élevé, plus l’attention à la propreté de la peau doit être grande.
A la suite de complications infectieuses répétées, il a été décidé dans un service de réanimation de pratiquer deux toilettes complètes (bain de lit) par jour pour chaque patient. La charge de travail a été sensiblement accrue pour les soignants mais les résultats ont été probants et cette pratique n’a plus été discutée.
Faire prendre une douche bétadinée au patient avant son intervention chirurgicale est une pratique efficace, à condition de ne pas le laisser ensuite attendre plus de 4 heures dans ses draps. Sa peau et ses draps sont alors fortement contaminés par sa flore digestive quand il arrive au bloc opératoire.
Au bloc, la préparation cutanée est une phase importante de la prévention des complications pariétales. Elle est parfois sacrifiée en raison d’une précipitation qui n’est pas justifiée, l’incision étant pratiquée avant même que l’antiseptique ait eu le temps d’agir. Sauf urgence vitale, il est toujours possible d’attendre une minute.
Le choix des antiseptiques et leur conditionnement sont des éléments qui doivent être pris en compte, car tous les antiseptiques sont contaminables. Plus ou moins rapidement selon leur nature et leur conditionnement.
Les antiseptiques sont sensibles à la lumière, ils doivent être conditionnés dans des flacons opaques. Ils se dénaturent rapidement sous l’effet de la chaleur et peuvent devenir de redoutables bouillons de culture, directement responsables de séries d’infections de plaie dans les services de chirurgie. Il est préférable de consacrer des budgets supérieurs à l’antisepsie que d’être contraint d’en dépasser de beaucoup plus lourds en antibiothérapie curative.
Les flacons pissette ci-dessus devraient disparaitre au bénéfice de petits conditionnements jetables et d’antiseptiques unidoses pour les produits instables. A cette occasion, faire disparaitre l’éther serait une mesure de sécurité importante. Ce produit, qui n’a rien d’antiseptique, est hautement inflammable. Il a été responsable de nombreux accidents graves par explosion des vapeurs d’éther dans les postes de soin. Il s’agit d’une mesure de sécurité élémentaire pour le personnel et les patients. Ce produit est strictement interdit dans les hôpitaux européens.
Cette photo, prise dans un service de réanimation, a été choisie également pour la jolie serviette qui devrait disparaitre au bénéfice d’essuie-mains papier. Elle devient rapidement un relais de contamination qui permet de partager et de répartir la pollution microbienne du service sur les mains de tous les soignants.
La stérilisation des dispositifs médicaux
Hôpital Viet Duc Hanoï
En 1991, je suis parti au Nord Vietnam à la demande d’un ami chirurgien qui se trouvait confronté à de multiples complications infectieuses post-opératoires, alors qu’il allait y opérer au titre de Médecins du Monde. J’ai rejoint cette organisation et sur place, j’ai trouvé une situation difficile qui résultait d’une absence totale de moyens.
L’étanchéité des portes des vieux autoclaves russes était assurée par des bandes de coton cardé. La vapeur fusait de partout et je craignais à chaque instant de voir exploser ces machines. Mais le pire était l’absence de boites étanches pour transporter le matériel chirurgical, certaines étaient même éventrées. Les autoclaves étaient installés dans un bâtiment isolé et elles devaient traverser une grande cour poussiéreuse où était trié le linge sale. Les conséquences étaient lourdes au plan infectieux, quelques cas de tétanos post opératoires ont été déclarés. Il n’était pas possible d’attendre que des budgets soient débloqués pour améliorer cette situation.
La solution mise en place immédiatement consistait à envelopper toutes les boites et les tambours dans deux champs en coton avant de les placer dans l’autoclave. Ces champs étant eux-mêmes de piètre qualité, il en fallait deux pour espérer une protection relativement efficace. A la sortie chaque boite enveloppée était enveloppée dans un grand champ pour traverser la cour. Ne pénétraient au bloc opératoire que les boites enveloppées d’un champ et le premier était enlevé avant d’entrer en salle. C’était simple, mais très efficace. Les complications infectieuses ont été sensiblement réduites et il n’est plus apparu de cas de tétanos post-opératoire.
Les situations de dénuement rencontrées dans certains hôpitaux m’ont parfois rappelé ce souvenir, avec une nuance importante. Au Vietnam les locaux étaient délabrés mais propres, l’instrumentation usée, mais lavée méticuleusement.
Une enquête sur les conditions de stérilisation des matériels chirurgicaux au Maghreb a été récemment publiée sur HOSPIHUB à partir d’observations réalisées sur plusieurs années dans de nombreux établissements publics et privés. Il en ressort que le risque d’opérer des patients avec du matériel non stérile est très élevé. Ce qui est particulièrement inquiétant. Il est probable que les mêmes conditions s’appliquent en Afrique et pour les mêmes raisons, manque de moyens, d’organisation, de volonté et de formation. Cette enquête très détaillée propose des solutions concrètes au cas par cas. Son contenu ne sera pas repris ici, il suffit de s’y reporter. Les grandes lignes sont :
La qualité du lavage des instruments
Souvent lavée manuellement, sans pré désinfection initiale, l’instrumentation n’est pas correctement nettoyée avant son conditionnement. Le personnel qui effectue cette tâche n’est pas formé, ne dispose pas d’installation et de matériel adaptés et bien souvent, on ne lui accorde pas le temps nécessaire pour un lavage efficace. Ceci est particulièrement important pour les instruments creux et rugueux.
Les méthodes de conditionnement
Le matériel à stériliser est placé dans des conteneurs qui sont équipés de filtres qui ne sont pas remplacés, de joints inefficaces, sont fréquemment en mauvais état, autant de conditions qui ne permettent pas de garantir la préservation de l’état stérile.
Conteneur utilisé en stérilisation
Dans le cas du linge, le mauvais état des tambours, souvent surchargés, ne garantit aucune conservation de la stérilité, en admettant qu’elle ait été atteinte compte tenu du niveau initial de propreté microbienne du linge et des failles fréquentes des cycles de stérilisation.
Enfin, la formation insuffisante du personnel ne permet pas de garantir le bon paramétrage des cycles et de mettre en œuvre des principes simples comme de permettre à la vapeur d’atteindre toutes les parties des instruments. La plupart du temps, les pinces sont serrées au dernier cran et les ciseaux fermés.
Pinces serrées, ciseaux fermés, la vapeur ne peut accéder aux parties en contact
Les méthodes de stérilisation
Largement utilisé, le Poupinel est souvent en mauvais état, sans ventilateur et le réglage des paramètres de stérilisation varie selon les sites et les personnes, sans que soient intégrées les précautions nécessaires. L’agent stérilisant est l’air chaud : il doit pouvoir circuler entre les boites, qui sont fréquemment empilées dans la cuve. Les boites stérilisées ne sont pas étanches et se contaminent à la sortie de l’appareil par échange thermique. Il faudrait les laisser dans la cuve, porte fermée, jusqu’à refroidissement complet.
Les autoclaves sont des appareils fragiles qui souffrent d’une maintenance insuffisante, qui sont alimentés avec de l’eau qui n’est pas correctement traitée. De ce fait, les différents composants s’entartrent et fonctionnent encore moins bien. Le bon déroulement des cycles n’est pas toujours contrôlé car les systèmes d’impression des graphiques n’ont plus d’encre ou de papier, quand ils sont en état de fonctionner.
Les autoclaves de paillasse doivent être équipés d’une pompe à vide, sinon ce ne sont guère plus que des autocuiseurs qui ne peuvent stériliser des boites fermées.
Enfin, les contrôles sont fréquemment inexistants, même les témoins de passage n’existent pas et dans bien des cas, rien ne permet de différencier une boite stérilisée d’une boite non stérile. Il est rare dans ces conditions de pouvoir pratiquer quotidiennement dans chaque appareil des tests de pénétration de vapeur, seul moyen de savoir qu’un autoclave fonctionne correctement.
La traçabilité qui doit permettre d’identifier les failles dans le processus de stérilisation et dans les cycles des appareils n’a pas beaucoup de signification dans ces conditions catastrophiques, malheureusement vérifiables dans la majorité des secteurs de stérilisation.
Les locaux de stérilisation
Généralement une pièce unique regroupe toutes les fonctions de lavage, conditionnement, stérilisation, stockage des boites stériles et des déchets. Le tout au cœur du bloc opératoire, avec une fenêtre ouverte sur l’extérieur, compte tenu de la température ambiante et de l’absence de ventilation mécanique avec climatisation. Les paillasses, les bacs éviers, la robinetterie sont dégradés et constituent autant de niches où se cultivent idéalement toutes les contaminations microbiennes.
Bac de lavage en stérilisation, situation courante
Noter que cet autoclave de laboratoire ne possède pas de pompe à vide et ne peut stériliser des tambours ou des conteneurs fermés
Ces situations sont fréquentes et nécessitent, cas par cas, des investissements lourds en locaux, en équipement, en formation et ensuite en consommation d’eau et d’énergie pour assurer le niveau de sécurité indispensable à la pratique de la chirurgie. C’est pourquoi la solution réaliste serait de mutualiser cette fonction quand les distances à couvrir sont compatibles. Un centre bien conçu, bien équipé, qui fonctionne avec du personnel formé, apporterait une garantie de qualité et de sécurité réelles à plusieurs hôpitaux et cliniques, pour un coût bien plus faible pour chacun.
Cette mutualisation suppose une préparation très rigoureuse car le centre de stérilisation doit être en mesure de couvrir tous les besoins de chacun, y compris les urgences. Ce n’est qu’un problème d’organisation, de logistique et de capital d’instrumentation. Globalement, cette démarche est justifiée à tous points de vue et surtout pour améliorer la sécurité des soins.
Le principe de fonctionnement d’une stérilisation est simple, il correspond à une marche en avant avec une séparation physique des activités sales du reste du déroulement du cycle.
Salle de conditionnement de l’usine de stérilisation du CHU de Toulouse
Exemple de bonne pratique : contrôle des instruments à la loupe éclairante en salle de conditionnement
Ces images montrent le décalage entre ce qui existe souvent et la rigueur qui devrait être respectée pour atteindre le niveau de sécurité requis en chirurgie. Bien souvent, les chirurgiens considèrent qu’il est atteint naturellement en stérilisation, mais que par contre, il faut investir lourdement dans les systèmes de traitement d’air des blocs opératoires.
Cette attitude résulte d’une longue intoxication menée par les industriels et leurs soutiens, alors qu’il est reconnu depuis longtemps que la pollution microbienne de l’air, dans des conditions de fonctionnement normales, ne joue qu’un rôle mineur dans la contamination des plaies opératoires. Il suffit de se référer aux publications existantes.
Les précédents articles de cette série sont accessibles ci-dessous :
Lire l’article 3, publié le 11/04/2016
Lire l’article 2, publié le 04/04/2016
Lire l’article 1, publié le 28/03/2016
Eléments de bibliographie, pour la plupart accessibles sur Internet
- Site hospihub.com : La stérilisation des dispositifs médicaux dans les hôpitaux du Maghreb
- « Hygiène et qualité hospitalières » Editions Hermann – Paris 1996 – Breack Patrick
- Collection les guides du BTEC Guide de pratique Annie Laberge Université Laval Québec : les infections de sites chirurgicaux –associées à un implant en orthopédie : les connaitre, les reconnaitre et les prévenir.
- Guide des bonnes pratiques au bloc opératoire. Services de santé et médecine universitaire du Québec
- Les soins infirmiers péri opératoires. Lignes directrices pour les activités des infirmières en salle d’opération. Ordre des infirmières et infirmiers du Québec
- Guideline for prevention of surgical infection 1999 Alicia J Mangram- Teresa C Horan- Michele L Pearson National Center for infectious disease – Center for disease control and prevention (CDC) Public health service
- Room ventilation system American society of anesthesiologists Kamal Maheshwari
- Dispensation des médicaments Evaluation des erreurs à différentes étapes du processus Meier Béatrice Genève
- Guide- Outil de sécurisation et d’auto évaluation de l’administration des médicaments HAS France
- Guide- La sécurité des patients, mettre en œuvre la gestion des risques associés aux soins en établissement de santé HAS France
- Les accidents hospitaliers du risque à la prévention Margot Phaneuf, Chantal Gadbois Infiressources mai 2009 Québec
- Solidarité Santé Enquête sur les évènements indésirables associés aux soins dans les établissements de santé n°17 – 2010
- ANSM Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé France
- Règles de bonne utilisation des antiseptiques Centre hospitalier d’Hyères – Service d’Hygiène 2012
- Guide OMS L’eau, l’assainissement et l’hygiène dans les établissements de soins de santé
- Guide des bonnes pratiques de l’antisepsie chez l’enfant SFHH – 2007
- Guide OMS Ventilation naturelle et lutte contre les infections en milieu de soins
- Guide OMS Gestion des déchets produits par les injections au niveau des districts
Ajouter un commentaire