Nous sommes au milieu des années 80 en France, près de Paris. C’est le début de l’été, les bords de Marne incitent à la promenade. Ce sera pour plus tard car près de là, se pose brutalement, dans un hôpital, un problème inattendu. De nombreux patients présentent simultanément ou presque, une infection qui associe plusieurs germes, Staphylocoque aureus, Acinetobacter, Pseudomonas aeruginosa et Serratia marcesens. Dans tous les cas, ces associations possèdent des antibiorésistances multiples et similaires et même en l’absence d’identification microbiologique plus précise, il est possible d‘envisager une cause commune à ces contaminations qui touchent tous les secteurs d’un établissement médicochirurgical de 250 lits. Tout le problème est d’identifier les origines.
La pression médicale et administrative est significative et les questions sont nombreuses. Rien ne relie à priori certains patients géographiquement éloignés des autres, qui n’ont pas subi d’intervention particulière, qui sont pour certains hospitalisés en long séjour. Par contre, les cas les plus nombreux apparaissent dans les secteurs de chirurgie et de réanimation. Ce sont les plus préoccupants compte tenu de l’état général des patients. La plupart d’entre eux sont passés au bloc opératoire, des contrôles sont effectués, de même qu’en stérilisation. Il n’apparait rien de significatif dans l’air, sur les surfaces et le process de stérilisation ne présente pas de faille. L’équipe de kinésithérapie est suspectée, mais aussi les antiseptiques, résultat d’anciennes aventures où ces vecteurs potentiels s’étaient révélés redoutables, mais là encore, rien de significatif. Reste la buanderie, point commun de ces différents patients au travers du linge qu’ils utilisent. Honnêtement, c’était par acquis de conscience car l’administration de l’établissement était assez fière de ses installations, en bon état, apparemment bien entretenues et que rien à priori ne conduisait à suspecter.
Et pourtant. Dans chaque machine à laver est retrouvée une ou plusieurs associations de germes, prélevées également sur le matériel de manutention, sur les tenues du personnel et naturellement sur du linge propre, à tous les stades de sa distribution, jusqu’à la chambre des patients. Divers évènements s’étaient conjugués pour aboutir à ce résultat étonnant. Tout d’abord, le cycle de désinfection des machines n’était pas effectué pour gagner du temps et faire des économies. La température de la calandre qui sèche et repasse les draps étaient insuffisante et le linge restait légèrement humide. Enfin par souci d’hygiène, ce linge encore un peu chaud était mis sous film plastique avant d’être distribué dans les services. Le microclimat entretenu sous ce film faisait le reste et chaque patient était étendu sur un tapis de contamination. Le mauvais état général des patients, les sondes urinaires en long séjour, les multiples portes d’entrée en réanimation, les drains en chirurgie permettaient à ces contaminations de produire des infections. Plus tard, le typage des bactéries a permis de confirmer le phénomène, au moins partiellement, mais il restait un enseignement gravé dans l’esprit de chacun : méfiez-vous du linge.
Bien plus tard, en circulant dans les hôpitaux et les cliniques des pays en développement, cette anecdote est fréquemment revenue en mémoire car les conditions nécessaires et suffisantes pour produire le même phénomène sont réunies quotidiennement dans la plupart des établissements. Dans l’indifférence générale, faut-il le préciser. Pour chacun, le linge lavé est nécessairement propre, ce n’est pas si simple.
Les installations rencontrées
Il arrive que la buanderie d’une clinique soit propre, carrelée, mais le plus souvent les locaux sont délabrés, mal entretenus, bricolés sur la terrasse du bâtiment ou dans une annexe car personne n’avait songé à cette fonction au cours de la conception. Dans les hôpitaux, la situation est identique, plusieurs installations étant disséminées dans un même ensemble hospitalier. Dans tous les cas, il n’existe pas de séparation entre propre et sale et c’est le même personnel qui assure le tri et le chargement sale, puis le déchargement propre et le séchage. Tout se passe comme si le risque de contamination n’existait pas. Il est très probable que le personnel employé à ces taches n’ait aucune conscience de ce risque, y compris pour lui-même. Aucune précaution n’est prise dans la manipulation du linge sale, parfois amené en vrac sur un brancard.
La nature des lessives dépend des aléas des marchés, les concentrations varient en fonction de la quantité de produit disponible et se réduit naturellement quand approche la fin du stock. L’utilisation d’eau de Javel est fréquente, elle est souvent conservée sans précaution, à la lumière, voire au soleil.
Le linge est séché en séchoir rotatif et le plus souvent au soleil sur la terrasse, ce qui n’est pas la plus mauvaise solution.
Le stockage du linge propre est organisé là où se situent des volumes disponibles car le plus souvent, la logistique est sous-évaluée dans la conception des établissements.
Toutes les conditions sont réunies pour que chaque jour, le linge constitue un risque de contamination pour les patients.
Aujourd’hui, les champs opératoires sont assez fréquemment à usage unique, de même que les casaques chirurgicales, mais ce n’est pas une règle absolue et certains établissements utilisent encore des champs et des casaques en tissu. Le traitement de ce linge n’est pas très différent, un cycle de machine leur étant souvent réservé. Mais la plupart du temps, ces machines sont peu performantes et un cycle de désinfection du tambour n’est pas envisagé. Il est peu probable que le linge lavé soit microbiologiquement propre, alors que les plus grandes réserves peuvent être formulées quant à la qualité de la stérilisation. En effet, le linge opératoire est stérilisé en tambours, fréquemment défectueux, dans des autoclaves peu fiables et parfois sans contrôle (voir https://www.hospihub.com/focus/enquete-conditions-de-sterilisation-des-instruments-chirurgicaux)
C’est ainsi que se déroule aujourd’hui, chaque jour, la vie de nombreux établissements de soin, publics et privés. Heureusement, cette situation évolue. De plus en plus de cliniques ont recours à la sous-traitance pour le linge et plusieurs projets récents intègrent une buanderie moderne comportant une séparation des circuits propres et sales. Mais cela reste marginal par rapport à l’étendue des besoins.
La sous-traitance pourrait être une solution. L’établissement qui y a recours cherche avant tout à se débarrasser d’un problème pratique au meilleur prix, sans pour autant se référer à des critères d’hygiène et de qualité microbiologique du linge. L’état de propreté très approximative des véhicules des prestataires croisés à l’occasion permet d’entretenir quelques doutes sur la question. Il ne semble pas qu’il existe actuellement d’unité industrielle de traitement du linge conforme aux principes d’hygiène appliqués en Europe.
Les évolutions réalistes
La situation est objectivement préoccupante même si à l’évidence, cela ne gêne pas grand monde. Il est inévitable que le linge soit responsable de cas d’infection dans les hôpitaux et les cliniques, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Par contre, il est parfaitement possible d’agir efficacement.
Tout d’abord au niveau de chaque projet d’établissement neuf
Tant que des unités performantes susceptibles de garantir une qualité microbiologique du linge acceptable ne sont pas en service, tant qu’une logistique adaptée n’y est pas associée, il est préférable de gérer la fonction linge en interne.
Sur tous les projets où nous intervenons, ce choix est systématique. Il se traduit par des buanderies qui fonctionnent sur le principe d’une marche en avant avec une zone de réception tri associée à un vestiaire du personnel équipé de douche. Elle communique avec une zone de chargement de machines à double porte, le tout séparé physiquement de la zone de traitement du linge propre.
Le linge propre est pris en charge par du personnel spécifique, séché, repassé, mis en forme en utilisant des équipements modernes et adaptés. Il est marqué, équipé de code barre ou puce RFID, stocké, géré et distribué par le personnel de la buanderie qui contrôle les stocks dans les services. Rien d’exceptionnel dans tout cela, si ce n’est que jusqu’à présent, ces pratiques ne sont pas mises en œuvre. Elles le seront prochainement et souhaitons qu’elles se généralisent.
La mutualisation des moyens
Il est regrettable que chaque établissement réalise un investissement lourd, utilise de la surface, engage du personnel, prenne en charge des consommations d’eau, d’énergie et de produits pour une prestation qui pourrait aisément être mutualisée et professionnalisée, ce qui permettrait de réduire ces charges. Encore faut-il que la qualité du résultat soit équivalente, si ce n’est supérieure.
Pour cela, il faut d’une part que des investisseurs décident d’intervenir dans ce domaine, s’appuient sur de véritables professionnels et mènent un projet rigoureux de bout en bout. Mais d’autre part, il faut que les établissements consommateurs soient en mesure de produire des exigences qualitatives précises. Ce qui n’est pas le cas actuellement. Sous forme de questions, ces critères pourraient être les suivants :
- Les locaux sont adaptés au besoin
- Les locaux sont propres et aisément nettoyables
- Les locaux sont correctement ventilés
- La séparation entre sale et propre est effective
- Les machines sont traversantes ou sont des tunnels
- Les cycles sont adaptés
- Les produits sont adaptés
- Les machines pratiquent un cycle de désinfection quotidien
- Les équipements de séchage et mise en forme sont efficaces
- Le linge est propre et sec
- Le linge est en bon état
- Un contrôle microbiologique est réalisé régulièrement
- Les résultats sont disponibles pour les utilisateurs
- Le linge est stocké dans des locaux propres et ventilés
- Les moyens de transport sont maintenus propres en permanence
- Il n’y a pas de cohabitation entre sale et propre
- Tout le personnel intervenant dans le cycle du linge est formé à l’hygiène
- Les cycles et horaires de récupération/livraison sont conformes au contrat
- Le prestataire dispose d’un stock de linge permettant de pallier toute rupture accidentelle de la prestation
Le marché potentiel est important car il concerne à la fois les cliniques privées et les hôpitaux publics et pour le moment, il ne semble pas que de véritables réponses professionnelles soient apportées à ce besoin.
Les grandes entreprises du secteur ne l’ignorent certainement pas. Elles savent aussi que pour le moment, peu de professionnels de la Santé sont conscients des risques décrits dans l’anecdote qui ouvre cet article.
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