Gestion des risques et hygiène hospitalière dans les établissements de santé en Afrique | Article 2

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Gestion des risques et hygiène hospitalière dans les établissements de santé en Afrique – Article 2

La prévention du risque infectieux ne devrait pas être gérée en tant que telle, déconnectée de la gestion des autres risques, car la mise en œuvre des techniques spécifiques à chaque problématique concerne tôt ou tard l’hygiène de l’établissement. C’est le cas particulièrement pour le risque incendie.

SECURITE INCENDIE

Les hygiénistes sont fréquemment en conflit avec les pompiers car là où nous voulons fermer des portes, les pompiers veulent les ouvrir. Chacun veut bien faire, mais selon des logiques différentes. Les représentants de la sécurité incendie s’appuient sur une réglementation très stricte là où les hygiénistes ne peuvent opposer que de vagues recommandations qui n’ont pas force de loi. Néanmoins, des malades s’infectent tous les jours à l’hôpital et les incendies sont rares, même extrêmement rares. Le résultat d’une politique stricte affirme-t-on à juste titre du côté des pompiers. Certes, il existe des incidents, mais rarement des incendies, du moins dans les structures modernes.

La pomme de discorde est le contrôle du désenfumage. Le principe consiste à déclencher par des détecteurs de fumée placés dans les locaux un système de ventilation très puissant qui consiste à faire pénétrer, par des grosses gaines, un important volume d’air dans les couloirs des services pour l’extraire, soit au travers de plusieurs grilles fixées dans les fenêtres, soit par des gaines verticales qui aboutissent en terrasse.

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Comme il n’y a jamais d’incendie et heureusement, ces installations ne fonctionnent pas et on doit les tester chaque année. A cette occasion, le système est déclenché, la poussière accumulée dans les gaines depuis le chantier se répand dans tout l’hôpital qui se trouve alors confronté à une énorme contamination par Aspergillus. Il faudra des semaines pour s’en débarrasser et des patients immunodéprimés seront inévitablement contaminés. Ceci est particulièrement important quand l’hôpital héberge des patients atteints de SIDA ou autres pathologies immunosuppressives.

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Gaines de ventilation de bloc opératoire stockées sur un chantier de clinique privée – 2015 –

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Aspergillus fumigatus

Ces installations potentiellement dangereuses pour la santé du patient coûtent cher, d’autant qu’elles viennent en complément d’une succession de portes coupe-feu, de clapets coupe-feu dans les gaines de ventilation, de dalles et parois résistant au feu pendant une ou deux heures, de multiples détecteurs de fumées, d’extincteurs et de RIA. C’est un bel exemple de ce que peut donner une logique administrative poussée à l’extrême par la volonté de sécuriser à tout prix et le manque de concertation entre des organisations qui ont en commun la volonté d’assurer la sécurité des personnes. Il est pourtant évident que le fonctionnement du désenfumage est potentiellement dangereux pour les patients.

Il serait utile de réfléchir à cela, surtout quand on dispose de moyens limités. Il serait opportun que dans les pays en développement, les autorités nationales de sécurité publique et de santé publique puissent se concerter pour édicter des règles adaptées à la réalité du risque et aux conditions climatiques locales. Désenfumer est une obligation de bon sens, la question et de définir comment on procède. Des solutions simples semblent possibles. Elles se situent au niveau de la conception du bâtiment, mais aussi et surtout, dans l’organisation des stockages et l’interdiction formelle de produits comme l’éther, encore très utilisé aujourd’hui.

SECURITE ELECTRIQUE

Dans des pays inondés de soleil, on peut imaginer que l’utilisation de l’énergie solaire soit intéressante. Des aides peuvent certainement compenser le coût plus élevé des installations, à l’heure où la notion d’écologie devient plus concrète. Il est par contre très facile d’utiliser cette énergie pour le chauffage de l’eau. Mais cela suppose une organisation des réseaux permettant une désinfection par secteur en cas de contamination par légionnelles.

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Un groupe électrogène est indispensable, voire deux selon le cas, mais dans les pays pauvres où la provenance des équipements n’est pas toujours garantie, il est préférable d’accorder avant tout une grande importance à la qualité et à la provenance des câbles, disjoncteurs et autres appareils qui peuvent être à l’origine d’incidents graves et notamment d’incendies. Pour les mêmes raisons, les potentiels défauts d’isolement des équipements électriques de réanimation et de bloc opératoire doivent être prévenus par des cahiers des charges très précis et un contrôle strict des conditions de réalisation. Les installations qui assurent la sécurité des patients, ventilation au bloc opératoire ou dans les services à risque doivent être secourues, de même que les alimentations d’éclairage, de respirateur et de monitorage. Il ne faut pas oublier les étuves et réfrigérateurs au laboratoire, dans les services et en cuisine. Un stérilisateur doit être en mesure de fonctionner en toutes circonstances, de même que les compresseurs de vide et d’air comprimé.

SECURITE FLUIDES

Ce domaine est particulièrement encadré en termes de sécurité, à juste titre. Un pharmacien doit contrôler l’installation avant sa mise en service et effectuer les tests réglementaires. L’essentiel en matière de sécurité sera plutôt d’assurer la continuité de l’approvisionnement en gaz venant de l’extérieur et de garantir que les compresseurs de vide et air comprimé seront secourus électriquement. L’air comprimé utilisé au bloc opératoire et en stérilisation doit être de qualité médicale, dénué de toute contamination. Des unités de filtration adaptées doivent impérativement être mises en place en amont des installations pour être ensuite, correctement maintenues.

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Selon la localisation de l’établissement et les difficultés d’approvisionnement, l’utilisation d’unités de concentration d’oxygène peut être une réponse efficace. Des établissements ont vécu des expériences négatives avec ces équipements, mais cela ne doit pas compromettre une solution qui reste intéressante.

SECURITE DES DECHETS–REJETS

Les déchets qui présentent un risque sont les déchets de soins ou DASRI. Ils doivent être neutralisés pour écarter le risque de contamination de la population, notamment par des aiguilles, des seringues et objets tranchants utilisés. Mais ces déchets sont multiples et tous potentiellement à haut risque dans des régions où un nombre important de patients sont contaminés par des virus divers et notamment le VIH. Il existe un moyen simple et efficace qui consiste à stériliser les boites et les cartons de DASRI à l’autoclave, puis de les broyer. Cette méthode n’est pas coûteuse et peut être mutualisée avec les différents prestataires de soins, hors du système hospitalier (dentistes, médecins, infirmières). Jeter les déchets de soins dans les décharges publiques est criminel et malheureusement fréquent dans bien des pays. Mais avant tout, les pratiques quotidiennes doivent être bien encadrées. Des documents précis et pratiques sont proposés par l’OMS.

Les effluents liquides peuvent nécessiter un traitement selon leur nature et les conditions de leur rejet. Dans un cas comme dans l’autre, le premier objectif est de protéger les populations, en tout premier lieu en écartant la possibilité de rejeter les effluents hospitaliers dans les cours d’eau.

SECURITE MAINTENANCE

La sécurité repose avant tout sur une maintenance préventive. Ne pas attendre que le problème se pose pour le résoudre, mais aller au-devant. Cela suppose du personnel formé et des pièces de rechanges disponibles, ce qui est à prévoir dans tout contrat d’acquisition de matériel. Malheureusement les méandres des logiques administratives conduisent assez souvent à une absence totale et durable de maintenance d’équipements essentiels, les autoclaves par exemple. Dans ce cas précis et dans bien d’autres à l’hôpital, la formation des utilisateurs est également un moyen efficace de limiter les interventions de maintenance.

Toutes les actions concernant les équipements doivent être tracées dans un registre. Il existe des logiciels permettant de suivre l’évolution de chaque équipement. Mais il est aussi possible d’assurer cette surveillance avec des moyens limités.

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Enfin, lors de la construction d’un bâtiment et encore plus lors de la création d’un hôpital, il est essentiel que le responsable technique puisse participer au moins aux six derniers mois des travaux pour connaitre les réseaux et les spécificités du bâtiment.

La relation entre la maintenance et le risque infectieux est particulièrement évidente dans le cas du changement des filtres, que ce soit pour le traitement d’eau ou le traitement d’air. Un filtre mal protégé par son préfiltre va se colmater plus rapidement, se fissurer et libérer les particules contaminées qu’il avait jusque-là retenues, auxquelles s’ajoute la contamination du réseau. Le montage des filtres lors de leur remplacement est également une phase sensible qui doit toujours être suivie d’un contrôle. C’est pourquoi, il est souhaitable de limiter les installations techniques au strict nécessaire, car la répétition onéreuse des interventions de maintenance doit rester compatible avec les budgets accordés aux établissements.

SECURITE DES BIENS ET DES PERSONNES – VIDEOSURVEILLANCE

Les vols sont fréquents dans tous les hôpitaux, ce qui peut être accru dans un environnement défavorisé. Des agressions se produisent parfois pour diverses raisons familiales ou autres. Il est de la responsabilité de l’hôpital d’assurer la sécurité des patients et du personnel, notamment la nuit.

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Dans les pays en développement, le recours au personnel de surveillance n’est pas très coûteux. Il peut être complété par des moyens techniques également peu onéreux tels que vidéosurveillance de points stratégiques à définir. Les stockages des produits coûteux, en particulier stériles, doivent être privilégiés et cela doit être connu au sein de l’établissement. Les disparitions d’instrumentation chirurgicale par exemple ne peuvent être le fait de personnes extérieures.

Par ailleurs, cette vidéosurveillance permet d’encadrer le fonctionnement général, par exemple en démontrant que pour éviter un cheminement trop long, le personnel chargé d’évacuer les poubelles a trouvé un circuit court… qui passe par le bloc opératoire.

SECURITE LOGISTIQUE

La logistique joue un rôle essentiel dans un établissement de soins et génère un niveau de risque élevé car elle concerne l’ensemble des patients et parfois l’ensemble du personnel.

Stockages

Dans les établissements importants, les conditions de stockage des consommables doivent prévenir toute contamination par les insectes et les rongeurs, de même que les risques liés à une humidité excessive. Le cloisonnement des activités ne permet pas toujours d’établir un lien entre risque infectieux et stockage.

Les conditions de transport doivent ensuite respecter les mêmes règles élémentaires en protégeant les produits de toute contamination extérieure.

Alimentation

Dans certains cas, la famille se charge de nourrir son patient, ce qui n’est pas sans risque, mais écarte la possibilité de contamination massive. Ce n’est plus le cas lorsque la prise en charge alimentaire est centralisée. Des conditions d’hygiène strictes, pas toujours naturelles chez le personnel, doivent être inculquées et contrôlées à tous les stades de la fabrication, de la conservation et de la distribution. La sécurité alimentaire repose avant tout sur les règles d’hygiène lors de la préparation des repas.

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Mais aussi sur le respect de la chaine du froid pour les produits congelés et/ou conservés en chambre froide. Le principe et l’attention sont les mêmes pour le respect de la chaine chaude lors de la distribution des aliments. Les matériels utilisés doivent être propres et contrôlés. Pour cela, le personnel doit être formé. Enfin, un contrôle sanitaire régulier des personnels et des fournisseurs est recommandé. Il est assez préoccupant de constater que ces notions, en particulier la chaine du froid, sont mal connues des personnels dans les pays chauds.

Linge

Le traitement du linge est fréquemment assuré dans des conditions d’hygiène catastrophiques. Le même personnel trie et manipule le linge sale, charge et décharge les machines, manipule du linge propre humide, dans un environnement délabré, avec des machines dont le déroulement des cycles est rarement vérifié. Dans ces conditions, le risque de contamination massive est réel, ce qui s’est déjà produit à partir de machines à laver contaminées par des associations de bactéries antibiorésistantes.

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Une enquête longue et complexe a permis d’objectiver ce phénomène et de révéler un risque jusqu’alors ignoré. Cela s’est produit au milieu des années 80 dans un hôpital de la région parisienne. Des patients situés dans différents services de médecine, de chirurgie, de réanimation étaient contaminés avec une association particulière de germes dont une des caractéristiques étaient leur antibiorésistance. Dans le contexte, vous pensez immédiatement au linge et vous avez raison, mais à l’époque, cette hypothèse n’est pas apparue immédiatement. C’est en cherchant à identifier des sources communes de contamination que des prélèvements ont été effectués à la buanderie, en particulier dans les machines à laver.  Ils ont révélé la présence des germes recherchés dans les machines, leur environnement et une partie du matériel de séchage. Le linge polyester coton ne supportait pas bien les hautes températures et par conséquent, les cycles avaient été adaptés pour prévenir son usure. Les systèmes de séchage et en particulier la calandre qui sèche les draps n’étaient pas très performants. Le linge plat sortait légèrement humide et achevait de sécher sur les étagères et les chariots d’aide-soignante des services. Toute la chaine de distribution s’est ainsi révélée contaminée.

Si la peau du patient est en contact permanent avec un drap fortement contaminé, son écologie microbienne se modifie et crée les conditions de contamination des plaies et de toute porte d’entrée. On imagine aisément les conséquences en réanimation, entre autres.

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Les solutions sont simples, il suffit d’un peu de bon sens, mais avec beaucoup de moyens. Il en faut en effet pour disposer de machines à laver à double porte qui isolent le personnel de tri-lavage du personnel de repassage et de manipulation du linge propre. Il en faut encore pour acquérir les équipements qui feront que le linge soit très bien séché, sinon réapparaissent des bactéries et des moisissures. Les locaux doivent être correctement ventilés, parfaitement propres, de même que l’ensemble des matériels fixes et mobiles. C’est pour ces raisons que ces installations devraient être mutualisées chaque fois que les conditions locales le permettent. Mais il faut d’abord être conscient du risque et au minimum, réaliser quotidiennement un cycle de désinfection des machines à laver.

Malheureusement, selon l’OMS (2015), un nombre important d’établissements de soins en Afrique ne disposent pas d’un accès permanent à l’eau. Là encore, des solutions simples peuvent être efficaces, comme le cite le rapport OMS avec la Zambie. Avec cette réalité apparait clairement la nécessite de relativiser les préoccupations occidentales en Afrique en matière d’hygiène et de sécurité. Elles sont incontestablement justifiées, mais ne peuvent pour autant être isolées du contexte et des difficultés rencontrées chaque jour dans bien des établissements. Il faut apprendre à rester simple. De ce point de vue, les documents OMS sont importants à connaitre.

Lire l’Article 1 de cette série, publié le 28/03/2016.


 

Eléments de bibliographie, pour la plupart accessibles sur Internet

  • Site hospihub.com : La stérilisation des dispositifs médicaux dans les hôpitaux du Maghreb
  • Hygiène et qualité hospitalières Editions Hermann Paris 1996 Breack Patrick
  • Collection les guides du BTEC Guide de pratique Annie Laberge Université Laval Québec : les infections de sites chirurgicaux –associées à un implant en orthopédie : les connaitre, les reconnaitre et les prévenir.
  • Guide des bonnes pratiques au bloc opératoire. Services de santé et médecine universitaire du Québec
  • Les soins infirmiers péri opératoires. Lignes directrices pour les activités des infirmières en salle d’opération. Ordre des infirmières et infirmiers du Québec
  • Guideline for prevention of surgical infection 1999 Alicia J Mangram- Teresa C Horan- Michele L Pearson National Center for infectious disease – Center for disease control and prevention (CDC) Public health service
  • Room ventilation system American society of anesthesiologists Kamal Maheshwari
  • Dispensation des médicaments Evaluation des erreurs à différentes étapes du processus Meier Béatrice Genève
  • Guide- Outil de sécurisation et d’auto évaluation de l’administration des médicaments HAS France
  • Guide- La sécurité des patients, mettre en œuvre la gestion des risques associés aux soins en établissement de santé HAS France
  • Les accidents hospitaliers du risque à la prévention Margot Phaneuf, Chantal Gadbois Infiressources mai 2009 Québec
  • Solidarité Santé Enquête sur les évènements indésirables associés aux soins dans les établissements de santé n°17 – 2010
  • ANSM Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé France
  • Règles de bonne utilisation des antiseptiques Centre hospitalier d’Hyères – Service d’Hygiène 2012
  • Guide OMS L’eau, l’assainissement et l’hygiène dans les établissements de soins de santé
  • Guide des bonnes pratiques de l’antisepsie chez l’enfant SFHH – 2007
  • Guide OMS Ventilation naturelle et lutte contre les infections en milieu de soins
  • Guide OMS Gestion des déchets produits par les injections au niveau des districts